La force structurelle d’internet ? C’est un réseau décentralisé [oui, je simplifie un peu en espérant que les puristes et techniciens ne m’en tiennent pas rigueur] : la coupure d’un des serveurs ne doit pas rendre l’ensemble du réseau inopérant. Petit à petit et parce que c’est plus pratique aux yeux des utilisateurs, on en a fait un service de plus en plus centralisé : pour un usage, tout le monde se connecte à un site, par lequel transitent toutes les informations avant d’être redistribuées à tous les utilisateurs. Un vrai Minitel modernisé.

Et certains de ces sites ont grossi de manière démesurée (Facebook, Messenger, Twitter, Instagram pour ne citer qu’eux), au point que lorsque l’un d’eux subit une coupure, des millions (milliards) de personnes sont touchées et cela fait les gros titres des journaux – pas plus tard qu’hier. Ces pannes sont l’occasion de rappeler la dépendance des utilisateurs à ces services trop centralisés… jusqu’à ce que le service redémarre et que les gens oublient. C’est humain. Mais ce qui est également humain, c’est la bêtise.

Le monde (s)elon Musk

Et niveau bêtise crasse, le nouveau héraut s’appelle Elon. Oui, le même qui dirige Tesla et SpaceX, deux sociétés qu’il n’a pas fondées mais qui, médiatiquement parlant, sont sa création. Le même qui a racheté Twitter après un déplorable coup de bluff de « oui, non, ok mais parce que je suis obligé » en promettant qu’il allait rendre la liberté d’expression absolue sur ce réseau. Depuis un mois, il a suffisamment fait en sorte qu’on parle de ses techniques de management assez particulières pour que je ne revienne pas dessus. Mais hier et ce matin, il a encore franchi un palier qui sera bénéfique… aux autres.

Agacé qu’un compte Twitter liste les déplacements de son jet alors que ces informations de vol sont accessibles publiquement, Elon a suspendu ledit compte ainsi que le compte perso de l’étudiant qui en est à l’origine. Dans la foulée, JoinMastodon publie un tweet pour dire que le compte mentionné est disponible sur Mastodon, un réseau assez semblable à Twitter mais au fonctionnement techniquement différent. Réaction immédiate : compte suspendu et tout lien vers une publication Mastodon est désormais impossible sur Twitter.

Une erreur “technique” qui ne trompe personne

Il faut dire que depuis le rachat de Twitter par Musk, Mastodon suscite l’intérêt de nombreuses personnes. Ce réseau qui était une niche dépasse les 8 millions d’utilisateurs, avec un pic à chaque nouvelle action de celui qui se rêve en Tony Stark (+ 4 000 inscrits par heure depuis celle d’hier). Ce qui en fait un incroyable publicitaire.

Fallait pas l’inviter

Depuis qu’il a les clefs, Musk change les règles à sa convenance sur Twitter. Certes, Twitter était déjà une entreprise privée, avec ses règles d’utilisation de son service. Mais là, lesdites règles changent au gré des humeurs muskiennes et, sous couvert d’une liberté d’expression totale, on assiste à un incroyable caprice d’enfant prêt à casser son jouet si on le contrarie. Et c’est là qu’intervient l’idée de résilience.

Les entreprises, quelle que soit leur taille, sont les premières concernées mais les simples utilisateurs comme vous et moi devraient se ménager un plan B. Car si Elon persiste dans la voie qui est la sienne et que le Conseil d’Administration ne le dégage pas (ah ben non, il l’a dissout), Twitter court à la faillite. Ou à la désertion de comptes importants, qui conduiront, in fine, à la faillite. Pas en deux semaines évidemment, mais cela semble inéluctable.

Le risque serait d’attendre qu’un concurrent “naturel” de Twitter débarque, avec le même travers : une centralisation néfaste à long terme. Certains estiment que Linkedin prendra le relais auprès des pros et des journalistes. Ce réseau étant un enfer absolu de bullshit et de comportements toxiques, j’espère que ce ne sera pas vers lui que se tourneront les gens. De plus, il est tout aussi centralisé que Twitter ou Facebook. Et si vous regardiez du côté de celui que Tonton Elon ne veut pas que vous voyiez ?

Ce n’est pas parfait mais…

Encore une fois en résumant beaucoup, Mastodon, c’est pas mal comme Twitter dans ce qu’on peut y trouver (la haine en moins pour le moment) mais c’est très décentralisé. Ici, pas de serveur unique (une mégalopole) mais plusieurs instances (des petits villages) qui sont toutes reliées les unes aux autres. Si un jour une instance connaît une panne, les autres continuent de fonctionner. Bref, internet dans ce qu’il est réellement.
Bonus : si une des instances n’abrite que des trolls (ce qui arrivera forcément), libre à vous de la bloquer et de ne bloquer qu’elle. Un peu comme, dans la vie, on évite de mettre les pieds dans des endroits qu’on n’aime pas, sans se priver du reste.

Vous pouvez aller faire un tour ici pour trouver une instance qui vous convient mais je vous conseille ce site pour une liste exhaustive des instances françaises, avec un descriptif rapide de chacune. Ensuite, pour gagner du temps et retrouver sur Mastodon les comptes que vous suivez sur Twitter, il y a ce formidable outil : Debirdify. Si vous souhaitez me trouver, c’est possible sur @MonsieurLu@mamot.fr

L’idée n’est évidemment pas de vous inciter à abandonner Twitter, ceci étant un choix éminemment personnel (comme l’a bien dit Louis Derrac dans son billet), mais de vous expliquer comment éviter le moment de panique que connaîtront tous ceux qui n’utilisent que Twitter le jour où le service fermera ou − plus sûrement − ils se retrouveront avec leur compte suspendu parce que Musk aura changé les règles dans la nuit.

Pour ma part, mon compte Twitter ne connaîtra pas 2023 mais ce billet étant déjà bien long, ce sera l’objet du suivant.
[Edit] C’est en ligne et ça se lit ici.